Léger décalage (extrait)

La levrette, fresque Musée de Naples - extrait de J. MARCADÉ, Roma Amor, 1968, Nagel, p. 90
La levrette, fresque Musée de Naples – extrait de J.MARCADÉ, Roma Amor, 1968, Nagel, p.90

Je suis un gentleman. Je vais passer sous silence les diverses évolutions de la première nuit avec Corinne. Il me suffira de dire que le verre proposé fut rapidement posé sur un coin de table, pour libérer mes mains qui partirent à la découverte du corps de ma conquête. J’étais très excité de faire l’amour sans que les odeurs de l’huile de lin et de l’essence de térébenthine ne viennent s’agglomérer à celles de nos corps en fusion.
Je suis un gentleman, mais je dois quand même dire que la vision des fesses rondes de Corinne, de ses seins un peu lourds qui ballottaient au rythme de notre union, de son visage d’abord enfoui dans un oreiller puis redressé dans ce que je pensais être un spasme de plaisir, un cri contenu d’orgasme, accentuait encore mon excitation.
Et je me tournai vers le miroir de la grande armoire, pour admirer d’une manière un peu plus perverse encore son corps devant moi.
Et je remarquai, interloqué qu’elle écrivait sur un petit carnet, quand je l’inondai, dans un dernier mouvement du bassin.

J’attendais de reprendre mon souffle, allongé sur son dos, pendant qu’elle continuait à gribouiller sur le calepin.
–    Qu’est-ce que tu écris ?
–    Je prends des notes. Continue, si tu veux, tu ne me déranges pas.
–    Qu’est-ce que tu écris ? répétai-je, énervé d’avoir été un peu gêné dans mon orgasme par ma partenaire griffonnant sur un bloc-notes à spirales.
–    J’aimerais savoir ! ça me concerne ?
–    Bien sûr que ça te concerne. Je ne prends pas de notes sur mon boucher quand mon amant me baise en levrette !
Et en effet, Corinne notait scrupuleusement toutes mes attitudes, mes réactions, même les mots tendres ou coquins que je lui avais dits pendant que nous faisions l’amour.
Je cherchai des yeux les caméras, ou les micros, qu’elle n’avait certainement pas manqué de dissimuler dans la pièce.
–    Mais…
–    J’en étais sûre. Qu’est-ce qui vous choque tant dans le fait que je prenne des notes quand vous me faites l’amour ?
–    Ce n’est pas habituel ! tu peux en convenir, non ?
–    Je ne sais pas, je n’ai jamais fait l’amour avec un psy. Mais s’il est consciencieux, il se doit de noter les réactions de ses partenaires, en toutes occasions.
–    Tu es… ? Tu es psy ?
–    Oui ! enfin, presque ! Je poursuis des études en parallèle de mon travail.

J’aurais du me rhabiller en toute hâte et quitter cette chambre, cet appartement, ne jamais chercher à revoir Corinne.
Même si elle avait été une amante hors pair.
Au moins jusqu’à ce que j’appelai naïvement un détail.

Elle me changeait tellement de mes clientes-maîtresses, qui levaient le petit doigt en couinant un vaporeux « oh oui » timide et emprunté, avant de me labourer le dos de leurs ongles manucurés.
Corinne, en caressant négligemment mon pénis en repos, me raconta sa passion pour Freud, Jung, Lacan, Wellebrouck, Stoller, et pléthore d’autres noms que je ne connaissais pas.
–    Mais tu vas en faire quoi, de toutes ces notes prises aux dépens… de tes amants ?
–    Je prépare un mémoire. Je veux arriver à prouver que tous ces grands noms se sont trompés complètement sur…
–    … sur quoi ?
–    Non, je n’ai pas le temps de t’expliquer. Je dois dormir, j’ai rendez-vous demain matin. Une importante réunion que je ne peux pas rater.
–    Tu veux que je rentre chez moi ?
–    Je n’osais pas te le demander. Oui, je préfère dormir seule. On se voit ce soir ?

 

…/… à suivre